par Christian Harbulot et Arnaud de Morgny
Les bouleversements qui affectent le monde actuel nous conduisent à faire deux constats majeurs :
- L’impérieuse nécessité de réaliser des grilles de lecture adaptées à l’évolution du monde contemporain dans le but de formuler une nouvelle approche de la question stratégique.
- La réhabilitation de la problématique de puissance décorrélée d’une vision clausewitzienne des relations internationales. La guerre militaire n’est plus le cadre décisif de la résolution des rapports de force. Elle n’est est qu’un aspect parmi beaucoup d’autres.
Forts de ce constat, nous avons décidé de prendre une position particulière sur les enjeux éducatifs de l’enseignement supérieur. Il existe aujourd’hui un besoin qui n’est pas satisfait par les démarches classiques de recherche : la préparation au combat cognitif. L’art de la rhétorique a été pendant longtemps la réponse académique formalisée notamment dans le monde du droit et de la science politique.
L’importance de cet art de la rhétorique fut mise en exergue par les discours contradictoires de l’Agora de la Grèce antique. Une telle pratique est aujourd’hui confinée dans certains cercles d’expertise qui perpétuent la nécessité d’apprendre à développer publiquement un raisonnement ou à débattre avec un adversaire sur un sujet donné. Depuis la disparition de la confrontation idéologique associée à la période dite de « guerre froide », la culture du rapport de force cognitif s’est progressivement réduite au champ politico-militaire et au domaine diplomatique dans les conflits de basse intensité.
La crise du covid 19, la guerre en Ukraine et enfin les mesures de représailles qui sont la conséquence des attentats terroristes commis le 7 octobre 2023 sur le territoire israélien illustrent l’évolution des modes d’affrontement et des problématiques de puissance. Cette évolution a remis en question le désarmement cognitif amorcé depuis la disparition des deux blocs antagonistes représentés par le bloc communiste et le bloc capitaliste.
Il nous semble indispensable de ne pas réduire la nouvelle problématique à une relance de l’économie de guerre à laquelle l’Europe n’est pas prête, si on prend en compte les déclarations de certains dirigeants occidentaux à propos du soutien à l’Ukraine.
Les nouvelles grilles de lecture étudiées au sein de l’École de Guerre Économique et sur lesquelles son centre de recherche, le CR451, mènent des recherches appliquées, font apparaître une démultiplication d’enjeux auxquels les pouvoirs politiques n’étaient pas habitués.
Citons les défaillances les plus marquantes concernant les enjeux qui affectent directement et indirectement les intérêts stratégiques de la France :
- Enjeux géostratégiques concernant les conséquences de l’invasion russe en Ukraine : incapacité à identifier le potentiel de déploiement russe dans le domaine de l’économie de guerre.
- Enjeux géoéconomiques découlant de la confrontation commerciale entre la Chine et les États-Unis : incapacité à tirer les leçons de la spécificité systémique du modèle d’expansion économique chinois.
- Enjeux régionaux : absence de grille de lecture pour cerner la problématique identitaire dans la crise calédonienne.
- Enjeux industriels: non appréciation des conséquences de la désindustrialisation et des délocalisations.
- Enjeux sociétaux: limites du système étatique pour lutter contre la violence émanant du narcotrafic sur le territoire national.
- Enjeux informationnels: carence croissante dans l’incapacité à définir une démarche de guerre cognitive afin de contrer les manipulations étrangères.
- Enjeux culturels et religieux: déficience chronique pour contrer l’entrisme des frères musulmans et des salafistes dans la société française.
Une telle accumulation de points faibles s’explique notamment par un décrochage de la classe politique dans son mode d’appréciation des rapports de force aussi bien sur le plan extérieur que sur le plan intérieur et dans son incapacité à en créer de nouveaux.
Dans ce contexte de fragilisation du pays, il est devenu vital de lutter contre le désarmement cognitif qui affecte les centres de décision publics et privés mais aussi de s’inscrire dans un processus de réarmement cognitif au niveau de la société française.
L’enseignement supérieur doit jouer un rôle fondamental dans une démarche qui doit être à la fois individuelle et collective.
C’est l’orientation qu’a choisi de prendre le CR451, le centre de recherche appliqué de l’EGE, par ses travaux sur la guerre économique et sur la guerre cognitive.