« L’innovation, c’est ce qui distingue un leader d’un suiveur » Steve Jobs, co-fondateur d’Apple
Dans le triptyque de l’intelligence économique, le volet de la détection est souvent le plus critique. Il permet d’identifier des « signes avant-coureurs », parfois improprement nommés « signaux faibles », afin qu’une entreprise puisse devancer une opportunité, ou au contraire un risque.
Apple a parfaitement compris l’importance de détecter l’innovation dans un secteur des nouvelles technologies particulièrement concurrentiel.
Cette « veille active » de son environnement prend ainsi plusieurs aspects, parfois de manière spécifique en identifiant un composant clé devenu le cœur d’un produit tout entier, ou de façon plus systématique à travers la mise en place de centres de recherche et développement ou l’identification de pépites technologiques à racheter.
L’iPod : quand un composant fait naitre un nouveau produit.
Les grandes entreprises ont recours à des études marketing ou de la veille concurrentielle pour mieux appréhender un marché.
Pour Apple, la rupture vient parfois simplement d’une visite d’usine. À ce titre, la naissance de l’iPod est révélatrice de cette politique d’innovation.
Le lancement de l’iMac en 1998 permet à Apple de retrouver le succès commercial et la bienveillance de la presse spécialisée ainsi que celle du grand public.
Le groupe américain cherche alors à développer un nouveau produit en dehors de l’informatique personnelle. Steve Jobs, passionné de musique, voit le marché des baladeurs numériques naissant comme porteur, mais avec des produits concurrents limités en raison de faibles capacités de stockage de la musique ou encore d’interfaces compliquées…
Il nomme ainsi une équipe d’ingénieurs en charge de concevoir un baladeur MP3, dirigée par Jon Rubinstein et Tony Fadell. Le premier, un ingénieur américain, est un vétéran de l’industrie informatique, passé notamment par Hewlett-Packard, Ardent et NeXT une société fondée par Steve Jobs alors en « exil » loin d’Apple. Le second, également ingénieur américain, a travaillé après ses études au sein de General Magic, une « spin-off » ou scission d’Apple ayant développé des technologies de pointe tel que les précurseurs de l’USB, des écrans tactiles ou des modems.
En février 2001, Jon Rubinstein, le Vice-président de la division hardware d’Apple, visite une usine de Toshiba au Japon. La firme japonaise lui présente divers composants, dont un mini-disque dur de 1,8 pouce (46 mm) de 5 Go dont le sous-traitant ne voit aucune application commerciale.
Grâce à son solide bagage technique et ses capacités en conception de produits, Jon Rubinstein saisit l’importance de ce mini-disque dur. Là où les concurrents proposent des baladeurs avec une mémoire limitée pouvant contenir une quinzaine de morceaux, ce disque dur démultiplie le stockage possible.
L’ingénieur d’Apple appelle Steve Jobs et obtient 10 millions de dollars pour assurer l’exclusivité sur ce composant de Toshiba.
Il rentre en Californie avec des prototypes de ce disque dur et les confie à l’équipe de design d’Apple. En l’espace de quelques mois, et dans le plus grand des secrets, les ingénieurs conçoivent le premier modèle d’iPod.
Le 23 octobre 2001, soit 8 mois après la visite de l’usine japonaise, Steve Jobs monte sur scène pour présenter son baladeur numérique avec un slogan devenu iconique : « 1000 chansons dans votre poche ». Un rectangle blanc, une molette pour naviguer dans une interface épurée, une capacité inégalée malgré un prix trop élevé, l’iPod attire la presse et le public.
Au fil des itérations, l’iPod devient un phénomène de société et représente, quelques années plus tard, 50 % du chiffre d’affaires d’Apple.
Les écouteurs blancs sont au cœur d’une campagne de marketing planétaire qui relance l’attrait des consommateurs pour les ordinateurs de la marque, ce qui sera plus tard appelé « l’effet halo », la croissance des ventes du baladeur permettant par la même occasion d’augmenter les ventres d’iMac et d’iBook.
C’est ainsi la naissance de la force de frappe d’Apple : l’écosystème. Les produits « pommés » fonctionnent parfaitement ensemble. L’ordinateur permet de se connecter à internet et d’acheter des morceaux de musique sur iTunes, la boutique dématérialisée d’Apple. Les titres sont transférés automatiquement au baladeur. Le grand public est séduit, le succès commercial du groupe californien explose.
Entre 2001 et 2022, date de fin de production de l’iPod, Apple aura écoulé 450 millions d’unités… dont l’origine remonte à une simple visite d’usine.
Le cas de la naissance de l’iPod démontre qu’une veille active par une société de ses sous-traitants permet de générer de l’innovation. Ainsi mise en place, un simple disque dur devient, dans l’œil de l’ingénieur, le cœur d’un produit au succès planétaire.
Mais Apple a également appris à innover de manière plus traditionnelle à travers un ensemble de centres de recherche et développement (R&D), dont certains font l’objet d’un secret particulièrement bien gardé.
R&D : les centres secrets d’Apple
À la suite du succès de l’iPod, les budgets R&D d’Apple ont littéralement explosé, passant d’un peu moins de 1 milliard de dollars en 2007 à près de 29,92 milliards de dollars lors de l’exercice fiscal 2023, en augmentation de 3,5 milliards par rapport à l’année précédente.
Les efforts de R&D ont largement cru au cours des dernières années, augmentant de 567 % en l’espace d’une décennie.
À titre de comparaison, les crédits alloués au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France s’élèvent à 26,6 milliards d’euros en 2024[i]. Si l’on inclut les efforts des entreprises, les travaux de recherche et développement (R&D) effectués sur le territoire national ont représenté une « dépense intérieure de recherche et développement » (DIRD) de 55,3 Md€ en 2021, soit 2,2 % du PIB.
Apple, une entreprise privée, boxe donc dans la même catégorie qu’un État…
D’autant plus que la R&D d’Apple ne se concentre que sur quelques produits ayant une finalité commerciale et donc un fort taux de retour sur investissements.
Le centre principal de recherche et développement d’Apple demeure au sein de son siège à Cupertino. C’est notamment là où se trouve le Design Studio rassemblant les designers d’Apple, des experts en matériel et interfaces logicielles et concevant l’intégralité des futurs produits de la marque à la pomme.
Mais au fil des années, Apple a également mis en place des centres éparpillés aux quatre coins du globe avec des équipes dédiées à certaines technologies.
La Chine compte plusieurs laboratoires à Pékin, Shanghai, Shenzhen et Suzhou, notamment spécialisés dans l’amélioration des matériaux utilisés dans les produits de la marque. En 2024, Apple a investi dans l’extension de deux de ses laboratoires représentant un investissement total de 1 milliard de yuans, soit 125 962 000 euros dans le pays[ii].
La France n’est pas en reste, car la marque californienne dispose d’un laboratoire dans la région de Grenoble spécialisé sur les technologies d’imagerie en collaboration avec le fabricant de semi-conducteurs STMicroelectronics[iii].
En Allemagne, Apple doit investir plus d’un milliard de dollars jusqu’en 2029 pour y implanter un centre de recherche basé à Munich[iv], le Silicon Design Centre, regroupant plus de 2 000 ingénieurs actifs dans les technologies sans fil ainsi que des innovations liées à la gestion de l’alimentation.
Apple a également mis sur pieds trois centres en Israël, à Jérusalem[v], Herzliya et Haïfa autour du développement des puces et microprocesseurs pour les ordinateurs Mac.
La marque dispose également de centres spécialisés sur les écrans dont un « Vision Lab » à Zurich[vi], d’un laboratoire sur les batteries ou encore d’un Apple Manufacturing R&D Accelerator en Corée du Sud.
Mais si ces laboratoires de R&D ont été reconnus officiellement par Apple, cette dernière communiquant même parfois sur les investissements réalisés, il existe par ailleurs certains centres totalement confidentiels.
Un cas récent a notamment mis en lumière cette pratique de la marque à la pomme, le projet « Titan ». Ce dernier fait référence à un programme de longue date de développement d’une voiture électrique par Apple.
Après les ordinateurs, les baladeurs audio, les smartphones, les tablettes numériques, et les montres connectées, la firme de Cupertino a tenté de concevoir sa prochaine grande catégorie de produits grand public en ciblant le secteur en forte croissance des véhicules électriques.
Pour ce faire, le projet surnommé Titan a vu la mise en place de centres de R&D dédiés et le recrutement de profils spécialisés dans le domaine automobile. Mais Apple n’a jamais reconnu officiellement ce projet.
Pourtant, les observateurs spécialisés de la marque ont identifié plusieurs brevets déposés par Apple autour de technologies clés, notamment les batteries pour voitures électriques, ou encore l’utilisation du pare-brise comme écran, ainsi que sur des systèmes pour les ceintures de sécurité.
Ainsi, pour conserver le secret, la firme à la pomme a utilisé des sociétés-écrans pour établir ces centres de recherche.
En mars 2015, Apple Insider, une publication spécialisée, publie un article sur les dessous de ce projet. Celui-ci met en lumière la création d’un campus secret d’Apple comprenant 300 000 mètres carrés de bureaux répartis sur sept bâtiments à Sunnyvale, une municipalité du comté de Santa Clara, en Californie, a une dizaine de minutes en voiture de Cupertino, l’implantation historique de la société américaine[vii].
L’emplacement identifié comprend notamment un « garage de réparation automobile » de 4 239 mètres carrés sans locataire enregistré. Un immeuble attenant au numéro 175 est référencé comme ayant pour locataire une société nommée SixtyEight Research, enregistrée dans le Delaware, un État américain connut pour l’absence de transparence et d’accès aux informations des entreprises.
Un site internet créé un an auparavant pour cette société est repéré sur lequel SixtyEight Research se présente comme étant active dans les « études de marché innovantes », mais aucune autre information sur les activités de cette structure n’est disponible en ligne. Concomitamment, plusieurs employés de l’entreprise américaine Tesla, spécialisée dans les véhicules électriques, sont débauchés par Apple et identifiés grâce à leurs profils LinkedIn.
Elon Musk, l’excentrique patron de Tesla, alors interrogé en 2015 par un journaliste, ironisait sur ces transferts : « Apple est le cimetière des ingénieurs licenciés de Tesla. Si vous n’y arrivez pas chez Tesla, alors vous allez travailler chez Apple. »[viii]
Une source au sein d’Apple et citée par Apple Insider précise que les badges d’accès au bâtiment 175 de Sunnyvale sont identiques à ceux du siège social d’Apple, mais sans le logo de la pomme.
Une autre source confirme que SixtyEight Research, active dans les études de marché, a été utilisée pour acheter du matériel de test automobile livré à Sunnyvale.
Par ailleurs, plusieurs permis d’aménagement délivrés par la municipalité sont identifiés comme ayant été octroyés à Apple, notamment pour plusieurs laboratoires (pour les batteries, les tests de fiabilité, ou encore les systèmes informatiques) ainsi qu’une salle de conférence et une salle de pause.
Par ailleurs, une visite sur le site de Sunnyvale permet d’identifier une affiche sur la porte d’accès du bâtiment 175 indiquant que la réception de l’immeuble est située dans une adresse attenante… appartenant à Apple.
Par la suite, plusieurs indiscrétions sur le projet sont publiées plus ou moins régulièrement au fil des années indiquant notamment une rencontre entre Tim Cook et Elon Musk, respectivement PDG d’Apple et de Tesla pour un possible rachat de la seconde par la première. Des discussions auraient également eu lieu en 2014 pour un possible partenariat entre Apple et BMW, finalement des pourparlers abandonnés en avril 2016, puis sur un possible rapprochement avec le groupe Volkswagen. Apple aurait également enregistré le nom de domaine apple.cars pour un futur site internet en janvier 2016.
Mais la stratégie évolue en 2017 / 2018, les équipes d’Apple se concentrant sur la création d’un système de conduite autonome et non plus sur la conception d’un véhicule complet. En décembre 2020, Apple relance l’idée d’un projet de voiture en relançant l’embauche de spécialistes du secteur, notamment au sein de Ford et Tesla.
En février et mars 2023, de nouvelles rumeurs font état de l’ouverture d’un nouveau centre secret d’Apple, mais en Suisse cette fois-ci, avec le recrutement d’une dizaine d’étudiants de l’école polytechnique fédérale de Zurich, et de spécialistes en vision assistée par ordinateur et en systèmes de conduite autonome[ix].
Apple a finalement abandonné en février 2024 son projet Titan[x], sans toutefois le confirmer officiellement. Complexité des process industriels, concurrence de constructeurs déjà établis au premier rang desquels Tesla, atermoiements sur le type de modèle (véhicule familial classique ou voiture totalement autonome sans conducteur), fréquents changements de leadership ont notamment expliqué les difficultés du développement de « l’Apple Car ».
Selon certaines sources spécialisées, ce projet aurait toutefois englouti 10 milliards de dollars en une décennie !
Les centres de R&D ont par conséquent été fermés, certains ingénieurs licenciés et d’autres intégrés dans des équipes autour de projets plus porteurs, notamment liés aux technologies d’intelligence artificielle.
Seuls ne resteront à la postérité que certains brevets…
Bien que la recherche et développement ne conduise pas systématiquement à des applications commerciales, la stratégie d’acquisition d’entreprises par Apple a toujours produit des résultats, souvent significatifs pour la marque à la pomme.
Le rachat d’entreprises, ou comment absorber l’innovation de startups
Quand l’innovation ne vient pas des centres de R&D interne d’Apple, elle émerge parfois d’une pépite rachetée pour quelques millions de dollars.
Car contrairement à ses concurrents, la firme de Cupertino s’est spécialisée dans l’acquisition[xi] de sociétés non pas pour tuer toute concurrence ou pivoter dans ses activités, mais à l’inverse pour renforcer ses compétences.
À titre d’exemple, Apple rachète de temps à autre des entreprises plus petites afin de mettre la main sur un portefeuille de brevets ou une équipe d’ingénieurs talentueux pour compléter ses produits.
Mais Apple ne communique jamais sur ces rachats, notamment sur les montants ou les finalités de ces transactions. À toute question évoquant une telle acquisition à un cadre de l’entreprise, le journaliste se voit systématique répondre de manière laconique :
« Apple acquiert de temps en temps de petites entreprises technologiques, mais nous ne communiquons généralement pas sur ces opérations ».
Cela a été le cas pour les rachats de Gliimpse en 2013, Emotient en 2016, Inductiv en 2020, ou encore AlumnEye en 2022. À chaque fois le même communiqué de presse copié-collé, et un traitement rapide de la question de la part de l’équipe des Relations presse d’Apple…
Un article de la BBC de 2021 évoquait le chiffre de 100 entreprises rachetées par la firme de Cupertino en l’espace de six années, soit un rythme d’une acquisition toutes les trois à quatre semaines[xii].
Ces achats permettent, quand ils font l’objet d’une veille efficace, de voir les futurs développements matériels ou logiciels d’Apple.
L’exemple le plus parlant est celui d’une perle inconnue du grand public, mais ayant totalement transformé l’entreprise : P.A Semi, une startup rachetée 278 millions de dollars en 2008.
Compte tenu de la taille d’Apple, ce rachat pourrait paraitre totalement anecdotique. Mais un ordinateur est, intrinsèquement, la conjonction de puces électroniques, notamment son cœur, le processeur, et d’un logiciel d’exploitation. Le matériel et le logiciel devenant la machine.
Et P.A Semi était justement spécialisée dans la conception de microprocesseurs. Mais la force de cette équipe d’ingénieurs résidait dans leur spécialisation dans une architecture ARM.
À cette époque, les leaders de l’informatique utilisaient des processeurs basés sur une technologie concurrente, le X86 sur laquelle sont conçues toutes les puces du mastodonte Intel qui équipent l’intégralité des gammes de PC Windows de Microsoft.
Mais avec l’iPhone, les besoins évoluent. Là où les machines de bureau ont de faibles contraintes électriques et thermiques, les smartphones ont une batterie et des capacités limitées pour dissiper la chaleur. Les puces ARM répondent justement parfaitement à ces enjeux. Moins puissantes, ces puces peuvent être adaptées plus facilement à des appareils mobiles.
Apple va donc racheter P.A Semi pour développer ses propres puces ARM et répondre de manière plus précise à ses propres besoins au lieu d’acheter des processeurs sur étagère. L’objectif est ainsi de passer du prêt-à-porter au sur mesure, une recette qui se révèle gagnante.
La première puce « maison » est dévoilée à l’occasion de la sortie de l’iPhone 4 en 2010 avec son processeur A4.
Tous les modèles postérieurs seront équipés des évolutions de ces puces avec cette même équipe de 150 ingénieurs comme cœur battant. Les évolutions de puissance de ces puces deviennent étourdissantes et laissent la concurrence sans réponse. L’iPhone 6 se révèle ainsi 50 fois plus rapide que l’iPhone original sorti 7 ans plus tôt.
Le rachat de l’équipe de P.A Semi a donc constitué un tournant pour les capacités d’ingénierie d’Apple et a creusé un fossé avec ses concurrents. Dans d’autres cas, Apple sait aussi asphyxier ses concurrents en faisant main basse sur un composant clé.
Identifier un composant clé pour asphyxier le marché
Pour beaucoup, le succès d’Apple vient du design de ses ordinateurs ou téléphones. D’autres citeront les interfaces et la facilité d’utilisation des produits pommés comme principal argument de vente. Enfin, certains mettront en avant le génie marketing de la firme de Cupertino en avant.
En réalité, si Apple est douée en innovation, marketing et interfaces utilisateur, sa véritable force réside dans sa gestion de la logistique et des opérations.
Derrière Steve Jobs, le fondateur et patron charismatique d’Apple, se cachaient deux hommes clés, Jonathan Ive, le designer en chef des plus grands succès de la marque, et Tim Cook, le chef d’orchestre de la logistique de l’entreprise.
L’iPod ou l’iPhone ont connu un succès retentissant, car c’est bien ce dernier qui a réussi, avec son équipe, à sécuriser toute la supply chain pour regrouper les composants nécessaires à ces produits de la part de dizaines de fournisseurs, les assembler en Chine par son sous-traitant Foxconn, puis gérer l’acheminement par avions ou bateaux des millions d’unités par an dans des boutiques aux quatre coins du monde.
Il n’est donc pas étonnant que Tim Cook, l’ancien Directeur des Opérations sous l’ère Steve Jobs, ai été choisi par celui-ci pour lui succéder quand le fondateur de la marque a dû partir pour raisons de santé.
Mais cette Direction des Opérations dispose également d’un atout majeur dans sa capacité à identifier les composants critiques des produits Apple afin d’engager des contrats préférentiels avec ses sous-traitants.
Ces accords peuvent, par ricochet, avoir un effet majeur sur les propres concurrents de la marque à la pomme.
À titre d’exemple, les premiers iPod conçus par Apple utilisaient un mini-disque dur. Devant le succès du baladeur numérique, Apple a donc cherché à réduire le design de l’iPod avec des disques de plus en plus petits. L’iPod classique est ainsi devenu l’iPod Mini.
Mais les mini disques durs étaient limités par certaines contraintes physiques. Apple s’est donc tournée vers un stockage sur puces mémoires. De ce changement est né l’iPod nano.
Anticipant le succès de ce modèle, et afin de bloquer tout concurrent voulant copier son nouveau modèle, Apple a signé des accords financiers avec les grands producteurs de puces mémoires NAND[xiii]. Annoncé le 21 novembre 2005, cet accord d’une durée de cinq années prévoyait l’achat pour 1,25 milliard de dollars de puces auprès des principaux fournisseurs Hynix, Intel, Micron, Samsung Electronics et Toshiba[xiv].
Double avantage : en prépayant cette production, Apple bénéficiait d’une remise (estimé à 30 % du prix unitaire des circuits), et dans le même temps rendait l’accès à ces mêmes composants plus compliqué, et donc plus onéreux, pour ses concurrents.
Apple a ainsi mis la main sur quasiment 40 % à elle seule de production de Samsung et presque 30 % du marché total des puces NAND pendant cette période.[xv]
Les concurrents de l’entreprise californienne devaient quant à eux se livrer une bataille pour obtenir les restes des chaines de montage.
Cette stratégie a été encore récemment utilisée par Apple. En effet, la société californienne n’utilise plus de processeur Intel et développe depuis quelques années ses propres puces. Mais elle fait fabriquer ces composants par un sous-traitant taïwanais, TSMC, le leader des fondeurs de puces électroniques.
TSMC est une entreprise peu connue du grand public, pourtant stratégique au plan international, à tel point que les velléités de Pékin sur l’île rebelle inquiète aux plus hautes sphères politiques internationales en raison de la place de TSMC dans le pays électronique mondial.
Lors de l’Assemblée annuelle des actionnaires, Mark Liu, président du géant taïwanais, a déclaré[xvi] :
« Je pense que l’industrie taïwanaise des semi-conducteurs joue un rôle stabilisateur dans un contexte mondial de tensions géopolitiques. Qu’il s’agisse de la Chine ou des États-Unis, tous espèrent que TSMC continuera d’exister ».
TSMC est donc un sous-traitant crucial non seulement pour Apple, mais pour toutes les entreprises tech du monde en raison de son expertise. Dans le domaine des puces électroniques, la finesse de gravure des puces constitue la mère de toutes les batailles. La loi de Moore[xvii], du nom de l’ancien PDG d’Intel, veut que la puissance des microprocesseurs double tous les deux ans. La raison étant simple : plus la technologie de gravure des puces s’améliore, plus il est possible de mettre de transistors sur une même surface, ce qui résulte en une augmentation des performances des micro-processeurs.
La finesse de gravure est ainsi passée de 10 000 nm à 10 nm en l’espace d’une cinquantaine d’années. Cette évolution a continué notamment grâce à TSMC, allant de 7 nm en 2018, puis 5 nm en 2020 à 3 nm en 2022[xviii]. Le nouvel horizon porte désormais sur une finesse de gravure de 2 nm pour 2025.
C’est justement sur cette échéance qu’Apple a basé le développement de ses processeurs en préemptant toutes les premières productions de puces en 2 nm par TSMC en 2025[xix]. Les concurrents ne pourront donc pas rivaliser et devront donc attendre 2026 pour espérer accéder à cette même technologie.
La gestion d’un composant ou d’un procédé industriel critique via sa supply chain peut donc devenir une arme anticoncurrentielle particulièrement efficace !
Dans cette course à l’innovation, Apple a su au fil des années mettre en place une stratégie efficace d’identification d’opportunités, mais aussi des risques pouvant venir de ses concurrents. Mais si innover est un challenge, savoir influencer son environnement requiert également de solides capacités.
[i] https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/projet-de-loi-de-finances-2024-92670
[ii] https://www.chinadaily.com.cn/a/202403/12/WS65f072c3a31082fc043bc3de.html
https://www.globaltimes.cn/page/202407/1316709.shtml
https://www.globaltimes.cn/page/202403/1308662.shtml
https://appleinsider.com/articles/24/03/12/apple-increases-rd-in-china-with-two-lab-expansions
[iii] https://www.ecranmobile.fr/Apple-va-ouvrir-un-centre-de-R-D-axe-sur-l-imagerie-a-Grenoble-en-France_a62273.html
[iv] https://www.macg.co/aapl/2023/03/apple-va-investir-un-milliard-deuros-supplementaire-pour-agrandir-son-silicon-design-centre-munich-135179
[v] https://fr.timesofisrael.com/apple-recrute-pour-son-nouveau-centre-de-developpement-a-jerusalem/#:~:text=Le%20g%C3%A9ant%20de%20la%20technologie,processeurs%20pour%20les%20ordinateurs%20Mac&text=Le%20g%C3%A9ant%20am%C3%A9ricain%20Apple%20accro%C3%AEt,ceux%20de%20Herzliya%20et%20Ha%C3%AFfa.
[vi] https://www.macg.co/aapl/2023/05/zurich-le-centre-rd-dapple-aurait-largement-participe-au-casque-reality-pro-137075
[vii] https://appleinsider.com/articles/15/03/13/project-titan-sixtyeight-sg5-inside-apples-top-secret-electric-car-project
[viii] https://www.theguardian.com/technology/2015/oct/09/elon-musk-apple-graveyard-fired-tesla-staff
[ix] https://iphoneaddict.fr/post/news-363465-apple-car-laboratoire-secret-zurich
[x] https://www.theverge.com/2024/3/3/24085995/apple-car-project-titan-timeline-driverless-ev-doomed
[xi] https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_acquisitions_d%27Apple
[xii] https://www.presse-citron.net/toutes-les-trois-a-quatre-semaines-apple-rachete-une-entreprise/
https://www.aventure-apple.com/ogre-apple/
[xiii] https://www.eweek.com/apple/apple-sews-up-ipod-memory-supply/
[xiv] https://www.apple.com/newsroom/2005/11/21Apple-Announces-Long-Term-Supply-Agreements-for-Flash-Memory/
[xv]https://macdailynews.com/2005/09/29/apple_corners_flash_memory_market_with_ipod_nano/#google_vignette
https://www.ecranmobile.fr/Apple-Gobbling-Up-NAND-Flash-Memory-Again_a7915.html
[xvi] https://www.lefigaro.fr/flash-eco/puces-le-taiwanais-tsmc-croit-au-role-de-stabilisateur-de-son-secteur-face-aux-tensions-geopolitiques-20230606
[xvii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Moore
[xviii] https://www.igen.fr/iphone/2018/05/10-nm-7-nm-5-nm-la-finesse-de-gravure-enjeu-du-monde-mobile-103886
[xix] https://www.servicesmobiles.fr/apple-sassure-les-premieres-puces-2nm-de-tsmc-pour-liphone-17-99442