La difficulté de mener une guerre économique au niveau européen

Au début des années 2000, un groupe de députés allemands organisa un colloque sur le système Echelon au Parlement européen. Ils me demandèrent de participer à une des auditions d’experts. Je devais d’intervenir sur les manœuvres informationnelles étrangères qui affectaient le fonctionnement des entreprises européennes. Autrement dit, ils souhaitaient élargir la problématique de l’espionnage par le système d’interception Echelon aux opérations d’influence et de contre-influence menées par des intérêts extérieurs à l’Union Européenne. Dans la continuité de cette démarche de sensibilisation, des rencontres plus discrètes eurent lieu dans les mois qui suivirent. Le Landesamt für Verfassungschutz du Land du Bade Württemberg m’invita dans ses locaux pour faire un point de situation sur les questions de la sécurité économique en Europe. Je me fis accompagner par un ami de longue date, ancien maoïste, et qui était très impliqué dans la structure montée par un proche du général de Marolles.

La réunion dura plusieurs heures. Les interlocuteurs allemands, au nombre de sept dont le Président du Landesamt für Verfassungschutz, s’inquiétaient de la passivité européenne à l’égard des puissances extérieures qui menaient des actions contraires à nos intérêts économiques communs. Ils faisaient le constat qu’en Allemagne, seules les structures de contre-espionnage basées à Stuttgart et à Munich avaient une vision réaliste des rapports de force économiques entre l’Europe et les Etats-Unis. L’intérêt d’une telle démarche, si elle avait abouti, était de dépasser les traditionnelles méfiances héritées de l’Histoire très compliquée entre les deux pays. Une action concertée et non officielle aurait pu être très fructueuse pour mener des actions d’influence, afin de contrer l’agressivité des économies conquérantes en Europe. C’était aussi le moyen de tester une fusion de culture du combat allemande et française dans le domaine de la guerre économique hors des terrains de confrontation habituels entre les industriels rivaux de nos deux économies.

Mais le développement d’une telle expérience au niveau européen semblait à l’époque une mission impossible. De part et d’autre du Rhin, on ne se faisait aucun cadeau pour aller gagner des appels d’offre internationaux sur les marchés d’armement ou pour remporter des grands contrats dans les économies émergentes. Les Allemands avaient et ont toujours des logiques d’encerclement de marché qui déconcertent leurs concurrents français. Ils ont compris très tôt l’importance des normes dans la construction européenne et se sont donné les moyens d’influence pour faire passer leur proposition avant les nôtres. C’est le constat que firent les représentants français de l’industrie chimique lors d’une réunion organisée par les conseillers d’Edith Cresson lors de son passage à Matignon. En 2013, les Allemands ont démontré une fois de plus leur talent pour obtenir gain de cause dans un processus de normalisation européen. Ils imposèrent leur norme sur le standard des bornes de rechargement de la voiture électrique . Les Allemands s’émeuvent aussi de la manière dont les Français cherchent à protéger ce qu’ils considèrent comme leur pré carré, comme par exemple le poste de directeur de sureté du groupe Airbus qui est occupé par un Français. Ces méfiances réciproques prennent parfois une tournure très négative. Les députés allemands au sein du Parlement européen n’ont pas cherché à intégrer à leur groupe de réflexion des Français pour contrer certaines formes d’agressivité commerciale asiatique. Ce manque de concertation pénalise la marche à suivre pour tenter de construire des connivences efficaces dans le cadre européen.

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