La guerre économique systémique est un mode de domination qui évite de recourir à l’usage de la puissance militaire pour imposer une suprématie durable. Il ne s’agit plus de soumettre l’autre par la force mais de le rendre dépendant par la technologie.
A la volonté guerrière des anciens empires se substitue désormais une forme de duplicité des nouveaux conquérants qui instrumentalisent la morale afin de masquer la finalité de leur stratégie. La Chine communiste promeut la liberté des échanges en omettant de préciser qu’elle n’a pas abandonné sa lutte pour affaiblir le capitalisme. Les dirigeants des grandes entreprises de la Silicon Valley se présentent comme les messagers d’un nouvel humanisme libéral alors qu’ils se comportent comme des monopoles très habiles pour se soustraire à la fiscalité des Etats clients.
Dans la guerre économique systémique, l’attaquant réduit le plus possible le recours à la force visible et privilégie les multiples formes d’encerclement cognitif que lui offre la société de l’information, notamment par le biais de l’orientation des normes et de la définition du cadre des textes juridiques. Il s’agit là d’un changement majeur par rapport aux formes d’affrontement, souvent violentes, qui ont structuré une partie de l’Histoire de l’économie mondiale.
La genèse d’une guerre économique systémique intérieure
L’analyse de la guerre économique s’est d’abord centrée sur un suivi de l’évolution des rapports de force à travers les grandes étapes de mutation de l’Histoire humaine. Au-delà des liens souvent indissociables entre la guerre et la recherche d’un avantage économique, n’existe-t-il pas une autre dimension structurante de la guerre économique ? La violence exercée dans le cadre de la recherche de subsistances et puis de richesses a généré les formes originelles d’un système de guerre économique intérieure fondée sur la volonté de conserver la possession de territoires. L’économie pour faire la guerre est née de cette logique qui s’enracine dans la construction des royaumes et des empires.
Historiquement, l’affrontement économique est associé à une opportunité d’action qui a incité le fort à accroître sa puissance par rapport au faible.
Les travaux sur l’antiquité et la colonisation nous ouvrent des pistes de réflexion pour tenter de comprendre comment le recours à la violence a été un élément structurant des relations économiques entre dominants et dominés à l’intérieur d’un territoire commun. La première phase remonte aux formes d’organisation de la vie de l’homme sur terre. La cueillette, la chasse et la pêche ont permis à l’homme de survivre durent des dizaines de milliers d’années. La recherche de la nourriture a reposé notamment sur la capacité d’en trouver ou d’en prendre à ceux qui en avaient. Autrement dit, la violence avait le dernier mot en cas de rivalité pour survivre. L’attaquant qui n’était pas forcément en situation de supériorité eut recours à la ruse. Il en fut de même du défenseur. Ce lien indissociable entre la survie et la ruse a créé les bases d’une relation quasi systémique dans la création d’un processus de domination à l’intérieur d’un groupe.
- Survie et ruse.
La plus grande partie de l’histoire de l’humanité est liée à la notion de survie. Cette notion est déstabilisante car elle repose sur le constat que tout est permis pour éviter de mourir. Cette légitimité naturelle de l’usage de la force, solution ultime pour survivre, a posé au fil des siècles la question de la maîtrise de la violence. La démesure de l’affrontement physique a été tempérée par le recours à la ruse. Dans son étude du comportement des peuples dans la Grèce archaïque. Jean-Pierre Vernant souligne son importance vitale qui s’inscrit selon lui dans « un monde de la violence où il y a des conflits, où rien n’est stable, où les Dieux sont d’abord les maîtres et ensuite sont renversés.».
La ruse est partagée autant par les dominants que les dominés. Pierre Fayard le démontre dans «l’analyse du processus portugais de colonisation du Brésil. L’impossibilité d’une colonisation de peuplement obligea le roi à concentrer tous les pouvoirs à des capitaineries générales héréditaires. L’arbitraire du dominant incita le dominé à contourner les règles et la pesanteur bureaucratique à trouver des solutions par une « corruption considérée comme indispensable pour rendre les choses possibles, que cela soit dans le domaine des affaires ou dans la vie quotidienne ». Le système d’exploitation colonial génère un contre système de survie par la ruse. - Esclavage et naissance des empires.
L’apparition de sociétés sédentarisées a généré une autre forme de violence sous la forme de l’esclavage. L’édification de pouvoirs puissants et durables a pu être possible par la domination de clans puis de hiérarchies sur les populations avoisinantes. Ces détenteurs de la force ont dû s’appuyer sur une masse importante d’esclaves pour disposer de moyens militaires et de forces mobilisables afin de rivaliser avec leurs adversaires. L’importance de l’esclavage dans le développement des sociétés humaines est une première forme intérieure de guerre économique systémique. La violence s’exerce sur le peuple d’un territoire par une très faible minorité de possédants. Le rapport qui lie l’esclave à son maître est la base d’un système économique qui garantit à l’un le maintien ou le renforcement de sa richesse et à l’autre un cadre de vie de soumission et de grande fragilité. Cette relation de dépendance est la garantie d’une continuité dans l’expression des rapports de force économiques entre dominant et dominé. Les empires se sont édifiés dans ce cadre de violence subie par une masse de gens au service de leurs maîtres. Sans cette guerre économique systémique intérieure, ils n’auraient pas pu se donner les moyens de pérenniser leur montée en puissance.
Le lien dialectique entre la force militaire et la guerre économique
La capacité à dominer militairement les mers et les routes d’échange est une constante de la guerre économique. Elle a marqué l’histoire d’Athènes dans sa volonté de tirer profit des échanges autour de la Grèce, ainsi que l’histoire de Rome dans les guerres puniques contre Carthage pour asseoir sa prédominance en Méditerranée. La mer devint un cadre récurrent d’affrontement économique à partir du moment où les royaumes portugais et espagnols se lancèrent dans la recherche de de richesse sur des continents lointains.
Au fil des siècles, la conquête de territoires fut de plus en plus associée à une perspective de conquête commerciale. L’empire britannique perfectionna cette forme d’emprise par le contrôle des mers associées à des zones stratégiques de ressources.
L’affrontement économique est associé à une opportunité d’action. Il ne génère pas pour autant un système en tant que tel. Les premières formes de guerre économique extérieure n’ont pas abouti à la construction de systèmes de domination structurés mais plutôt à des dispositifs politico-militaires pour dominer les échanges maritimes ou pour contrôler l’accès aux ressources.
Jusqu’à la fin du XIXè siècle, le recours à la force armée s’est révélée un argument suffisant pour imposer la puissance du dominant. Les mouvements anticolonialistes soutenus par l’URSS après 1917 fragilisent peu à peu la légitimité « naturelle » du dominant. La revendication du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est appuyée par les Etats-Unis d’Amérique qui cherchent à substituer leur suprématie à celle des empires coloniaux européens.
La guerre économique extérieure prend au cours du XXè siècle une dimension idéologique qui transforme la perception des rapports de force matériels entre dominants et dominés en système de pensée. Pour le camp prosoviétique, il faut abattre le système capitaliste afin de réduire les inégalités et offrir la liberté aux peuples colonisés. Le conquérant est perçu comme une force négative qui prend le risque de s’attirer les foudres de la « haine mondiale » . L’ingénieur allemand Herzog a très bien identifié ce renversement de valeurs dans le dernier chapitre de l’ouvrage prémonitoire qu’il publie au début de la première guerre mondiale. La portée cognitive de la répulsion des peuples comme toute forme de suprématie oblige les Etats-Unis d’Amérique à dissimuler leur recherche de suprématie sous des prétextes de contre guerre idéologique sur le danger que représente le totalitarisme communiste. Après la seconde guerre mondiale, Washington, en accord avec Londres, a usé de tous les moyens diplomatiques, militaires, y compris par le recours au coup d’Etat comme en Iran pour imposer une stratégie de contrôle de l’énergie pétrolière au Moyen Orient.
L’autre élément décisif qui va modifier la place de la guerre économique dans les problématiques de puissance est la manière d’évaluer la rentabilité finale d’une guerre militaire. Le coût démesuré des dépenses militaires lors des deux dernières guerres mondiales a relativisé la portée de la victoire pour certains protagonistes. Le statut de vainqueur ne s’est pas traduit par un renforcement de puissance mais plutôt par le contraire. Le cas de la Grande Bretagne illustre parfaitement ce paradoxe. Elle fut une des puissances victorieuses de l’Allemagne et du Japon. Mais elle est sortie exsangue sur le plan économique et a perdu son statut de puissance dominante aux dépens de son principal allié, les Etats-Unis d’Amérique.
Le mythe de la victoire militaire a été aussi fortement affecté par les conséquences éventuelles d’une guerre nucléaire. La destruction potentielle des principales cités et des centres industriels des belligérants remettait en cause les avantages tirés d’une victoire militaire décisive.
La mutation de la guerre économique
Au-delà des considérations sur la guerre militaire, la guerre économique a muté lors des dernières décennies sous les effets de l’émergence du monde immatériel. L’informatique, le spatial, les réseaux Internet, le numérique, le monde cyber sont les premiers points de repère de ce monde immatériel en devenir.
Les principes de guerre économique du monde matériel sont restés longtemps focalisés sur les stratégies de soumission et de débordement des positions de l’adversaire. Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis ont soumis l’Europe et l’Asie à leur suprématie monétaire, financière et économique. Après leur phase de reconstruction, les puissances européennes et les nouveaux entrants vont accepter une certaine forme de dépendance globale par rapport aux Etats-Unis. Certains pays vont tenter des stratégies de débordement :
- La France entre 1958 et 1965. Sous l’impulsion du général de Gaulle, le gouvernement français cherche à se créer des marges de manœuvre (création d’Elf Aquitaine pour réduire notre dépendance à l’égard des grandes compagnies pétrolières anglo-saxonnes, quotas d’importation fixés aux firmes multinationales pour ralentir l’effet « rouleau compresseur » dans l’émergence de la société de consommation intérieure, polémique sur l’endettement américain et la valeur réelle du dollar afin de fragiliser les prétentions de Washington).
- Le Japon entre 1949 et 1991. Après la défaite de 1945, les autorités nipponnes profitèrent de la guerre froide pour exercer une sorte de chantage sur Washington en soulignant que les grèves dures menées dans le domaine scolaire traduisaient un risque de déstabilisation communiste à l’intérieur du pays. Au début des années 50, les Etats-Unis acceptent de laisser les Japonais se donner les moyens de reconstruire une économie qui va devenir conquérante à partir des années 60. Les Japonais exploitent tous les axes possibles de débordement en profitant notamment de l’accès à leur marché que leur concèdent les Américains et Européens.
Affaiblis par les conséquences diplomatiques, politiques, financières de la guerre du Vietnam, les Etats-Unis sont menacés dans leur suprématie marchande par la remontée des économies européennes et asiatiques. Le prétexte sera l’accès aux économies émergentes. La doctrine de sécurité économique rendue publique par Bill Clinton prend pour prétexte les actes de concurrence déloyale dont sont victimes les entreprises américaines dans leur approche des économies émergentes. La convention OCDE de lutte contre la corruption, signée en 1997, peut être assimilée à une stratégie d’encerclement cognitif. Ne pouvant pas contrecarrer cette démarche aussi vertueuse sous peine d’être suspectés de cautionner des pratiques de concurrence déloyale, les pays partenaires européens et asiatiques ont cautionné la moralisation des affaires, dictée par le monde économique américain.
Dans le même temps, les pratiques d’influence américaines ont évolué. Les entreprises américains ont appuyé des opérations de conquête de marché dans des économies émergentes, en recourant à des techniques d’influence indirecte ne tombant pas sous le coup de la convention OCDE (opacité des paiements des cabinets de consultants dans les paradis fiscaux, accès à des universités américaines avec bourse d’études pour des enfants de dirigeants locaux, actions caritatives de fondations dans des pays cibles).
Cette utilisation de la morale pour affaiblir l’adversaire est la première étape d’un processus qui a abouti trente ans plus tard aux dérives de l’extraterritorialité du Droit américain.
La coexistence de deux types de guerre économique
A la différence du monde matériel qui donna naissance à une guerre économique intérieure (esclavage) puis extérieure (conquête par la voie maritime et continentale), la guerre économique du monde immatériel se visualise autrement car elle se subdivise en deux dimensions : le contenant et le contenu.
- Le contenant recouvre le domaine des infrastructures technologiques (les « tuyaux »). Il est le point d’entrée des menaces telles que les virus informatiques, les intrusions et les multiples opérations d’atteinte à la sécurité des réseaux. Il est difficile de décrypter cette guerre économique du contenant en cherchant un dominant et un dominé. Le gain est plus diffus et son ordre de grandeur est différent de l’échelle de mesure des conquêtes commerciales et territoriales du monde matériel. Si les logiques de marché existent aussi dans le monde immatériel, la finalité de cette guerre économique est spécifique : parasitage des systèmes d’information, piratage ponctuel ou durable des réseaux, domination technologique dans le domaine des infrastructures et création de situation de dépendance. La volonté de s’imposer par la création de dépendances matérielles et immatérielles génère un mode de domination de nature systémique.
La cybersécurité et la cyberdéfense sont des espaces d’affrontement qui ont des volets à la fois offensifs et défensifs. La guerre économique du contenant est désormais appréhendée au nouveau stratégique et tactique par les armées de plusieurs pays tels que les Etats-Unis, la Chine, la Russie, Israël et la France. En revanche, les entreprises n’ont pas encore pris la mesure réelle de ce qu’elle représente en termes de menace globale. - Le contenu recouvre le domaine de l’information et de la connaissance (ce qui passe par les « tuyaux »). Les attaques sont véhiculées notamment par les réseaux sociaux (idéologie, propagande, fake news, art de la polémique). Ce contenu symbolisé par la société de l’information donne lieu à une nouvelle forme de guerre, la guerre de l’information par le contenu.
Contrairement aux Etats-Unis d’Amérique qui ont déjà pris des postures très offensives sur ce terrain. Rappelons à titre d’exemple, la désinformation sur les armes de destruction massive lors du déclenchement de la guerre en Irak. Le dossier syrien est aussi très riche en covert action centrées sur la manipulation de l’information pour déstabiliser le camp adverse. Les multiples polémiques sur les attaques chimiques ont pesé sur le cours des évènements et la position prise par les Etats-Unis dans la conduite de la guerre contre le régime de Bachar Al-Assad.
Les démocraties européennes ont du mal à intégrer cette nouvelle forme d’affrontement car l’attaquant a l’avantage par rapport au défenseur. En revanche, certaines entreprises sont proactives et n’hésitent pas à mener des guerres de l’information par le contenu contre des adversaires très agressifs qui sont souvent positionnés dans les sociétés civiles.
Il résulte de ces nouvelles formes de confrontation informationnelle deux types de problématique :
La problématique du fort
- Ne pas passer pour un agresseur et risquer la « haine mondiale ».
- L’encerclement cognitif « pacifique » par l’occupation du terrain par la connaissance.
La problématique du faible
- Le renversement du rapport de force par le développement de systèmes éphémères ou durables de contre information.
- La force de frappe subversive des réseaux sociaux dans la recherche de la légitimité.
Encerclement et contre-encerclement cognitif
La guerre économique systémique s’appuie sur un processus informationnel visant à affaiblir, à assujettir ou à soumettre un adversaire à une domination de type cognitif. L’impératif de l’attaquant est de dissimuler l’intention d’attaque et de ne jamais passer pour l’agresseur.
Dans cette nouvelle forme d’affrontement informationnel, l’art de la guerre consiste à changer d’échiquier, c’est-à-dire à ne pas affronter l’adversaire sur le terrain où il s’attend à être attaqué.
Les règles de l’encerclement cognitif sont les suivantes :
- Eviter toute assimilation à un ancrage national pour ne pas être diabolisé.
- Construire une nouvelle légitimité « d’acteur positif ».
- Utiliser de nouvelles légitimités dominantes (exemple : la Silicon Valley).
- Identifier les points d’appui possibles dans les sociétés civiles.
- Cerner les « profils » activables (« idiots utiles », opportunistes, naïfs).
Les démarches d’encerclement cognitif mises au point par les Etats-Unis durant la guerre froide ont été transplantées sur le terrain économique à la fin des années 80, sous l’appellation de social learning. Cette méthode était très utilisée pour pénétrer les marchés des économies émergentes sous couvert d’une approche humaniste qui évacuait la question de la concurrence. Si les Etats-Unis ont remporté de nombreuses victoires par ce biais, les résultats commerciaux étaient beaucoup trop lents car tributaires du facteur temps. La Chine a démontré que son modèle d’investissement dans les ces mêmes économies émergentes était plus performant. Ce pays communiste n’avait pas besoin de dissimuler l’image agressive de firmes multinationales à la recherche de profits dans les pays du Tiers Monde.
Fort de ses antécédents dans le soutien accordé aux pays non alignés, Pékin s’est présenté comme un bâtisseur d’infrastructures au service du développement, réduisant ainsi fortement la portée humaniste du social learning américain. Cette défaite cognitive a obligé Washington à redéfinir sa politique d’encerclement cognitif en resserrant ses liens avec ses alliés traditionnels (pays anglosaxons, pays du Nord de l’Europe, ASEAN). Toutes les forces vives du monde cognitif américain sont mobilisées dans cette manœuvre de maillage.
Les Etats-Unis ont décidé de durcir considérablement leur attitude à l’égard des anciens pays alliés qui pouvaient présenter un risque. La France et l’Allemagne sont concernées par ce changement de posture détectable depuis plus d’une décennie. Les tentatives de rapprochement avec la Russie sont un des indicateurs les plus forts. L’Allemagne a signé des accords bilatéraux avec Moscou. Le Président Macron hésite à opérer une volteface à l’égard de Vladimir Poutine. Ces points de fragilité rendent l’Union Européenne suspecte aux yeux des Etats-Unis. Ces derniers ne peuvent se permettre de voir cette zone anciennement sous leur tutelle indirecte basculer dans leur dos, par des changements d’alliance à petit pas.
Affaibli dans le monde matériel par les effets pervers de la mondialisation (délocalisation, désindustrialisation, déstabilisation de l’économie des territoires par le déséquilibre provoqué par les coûts salariaux), les Etats-Unis d’Amérique doivent reconfigurer leur mode de suprématie. Leur priorité est la domination du monde immatériel en restreignant le plus possible les tentatives chinoises de débordement. L’affaire Huawei est une illustration de la tentative américaine d’entraver l’expansion de la Chine sur les continents jusqu’à présent sous leur emprise technologique.
Dans un tel contexte de rivalités multipolaires durables, la nouvelle guerre économique systémique américaine ne cherche plus seulement à soumettre ou à rendre dépendant des pays « vassaux », mais aussi éventuellement de désagréger les forces d’un adversaire qui pourrait contrecarrer les objectifs stratégiques de long terme des Etats-Unis d’Amérique. Le dossier agricole est un cas d’école sur lequel l’EGE travaille assidument avec d’autres depuis plusieurs années. Il faudra du temps et beaucoup de patience pour démontrer à quel point la bataille perdue des OGM a été la première étape d’une offensive dont les vecteurs les plus actifs sont de toutes petites minorités agissantes au sein de la société française. En 2020, les lobbyistes nord-américains positionnés à Bruxelles, encouragent les milieux agricoles européens à faire preuve de maximum de prudence dans leur politique d’innovation pour ne pas se mettre à dos les écologistes. Dans le même temps, les groupes agro-alimentaires nord-américains renforcent leurs positions pour conquérir les marchés mondiaux à leur portée. Ils se positionnent comme les apporteurs de solution afin de satisfaire les besoins de l’alimentation mondiale à l’horizon 2050. Dans cette stratégie de conquête présentée comme une main tendue à l’humanité, les représentants des intérêts agricoles et agro-alimentaires américains manient le double langage avec talent. Ils ne tiennent aucun compte des éléments de langage « humaniste, pro-écologiste », qu’ils mettent en avant lors des réunions de concertation avec leurs interlocuteurs européens. Les minorités agissantes de la société civile ne leur portent pratiquement aucun préjudice car leurs attaques sont concentrées sur les agricultures des Etats membres de l’UE qui ne sont pas conformes à leurs attentes. Il s’agit là d’un cas exemplaire d’encerclement cognitif parfaitement réussi.
La problématique de la désintégration n’est pas simple à mettre en place et implique une préparation des esprits qui plonge ses racines dans le domaine culturel. Le storytelling se met en place progressivement. Pour légitimer les effets pervers des opérations de désagrégation, il est nécessaire de leur donner un habillage qui éloigne la perception de la menace vers d’autres épicentres. Depuis une trentaine d’années, Hollywood puis des auteurs de séries américaines ont été sollicitées pour bâtir des scenarii « catastrophe » et souligner les dérives possibles d’un monde en perdition. Les fondations puis les acteurs de la société civile ont pris le relai en s’appuyant sur la dynamique du réchauffement climatique pour dénoncer le risque de collapse et fragiliser ainsi les perspectives de développement des sociétés industrielles. Cette théorie de l’effondrement dont le phénomène Greta Thunberg n’est qu’un avatar parmi d’autres, est la pointe avancée d’une légitimité de la dénonciation, échappant en apparence à la grille de lecture de la guerre économique que se livrent les puissances.