Comment former dans des environnements complexes? Entretien avec Francis Massé

Sep 18, 2023

la logotique

Trente ans ont passé depuis la publication du rapport Martre[1] et l’invention du concept d’intelligence économique (IE). Des structures administratives d’intelligence économique ont été créées, d’autres ont disparu. Un secteur privé s’est développé : invention des cabinets d’intelligence économique, création d’écoles dont l’EGE est la pionnière et de formations, recrutement d’experts en IE au sein d’entreprises etc. Pour autant, la culture d’intelligence économique à la fois au sein de l’Etat et des collectivités territoriales mais aussi au sein des acteurs économiques ne s’est pas suffisamment disséminée pour répondre efficacement aux enjeux de notre temps. Moins encore la culture du combat économique. Une des causes est la difficulté à changer les états d’esprits. Or les moyens habituels pour ce faire ne sont pas utilisés par l’Etat. Il n’y a pas d’enseignement de la culture du combat économique dans les formations des agents publics. Chaque agent est évalué chaque année mais dans cette évaluation, il n’y a pas cette grille de lecture combattive. Et quand un sujet n’est pas évalué, le choix du moindre effort pousse à ne pas s’y investir contrairement aux sujets qui évalués ont une incidence sur votre évolution de carrière. Seuls des préfets atypiques comme le préfet Remy Pautrat décident à titre individuel de s’engager dans ces combats, les autres n’en font rien. C’est un problème de matrice de formation des fonctionnaires et de définition du cadre de leur action.

A l’époque du blocus continental, les douaniers contribuaient à défendre une certaine vision de la sécurité économique de la France lors des conflits entre l’Empire et le Royaume Unis.  Ils représentaient près de 20% des agents publics à cette époque et agissaient dans un contexte de guerre économique. Le temps passant, cette logique de combat économique sera diluée dans le nombre augmentant d’agents.

De nos jours, dans l’administration, les agents intéressés à la Guerre économique, hors les services dédiés, se sont auto missionnés sans directive hiérarchique et dans un cadre peu formalisé. Comment faire pour changer cette réalité et cet état d’esprit ? Comment transformer un écosystème inerte en système propice à la menée d’une guerre économique ? Comment faudrait-il faire ? Francis Massé, dans le domaine du transport aérien a créé une méthode et un concept. Il est un pionnier dans l’expérimentation du changement de culture, d’état d’esprit et de pratiques dans un écosystème afin de le rendre plus efficace et innovant. Cette méthode, la logotique, peut-elle être utilisée dans une logique de transformation des acteurs économiques publics et privés afin de développer une culture commune et collective de guerre économique ?


Biographie.

Francis Massé est un ancien haut fonctionnaire. Il a passé l’essentiel de sa carrière au service de l’Etat et en particulier à la DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile). Il a fait un passage à RFI (Radio France Internationale) dont il a été directeur général délégué.  Une autre partie de sa carrière concerne les activités maritimes. Membre de plusieurs cabinets ministériels, il a été la cheville ouvrière de la réforme portuaire des années 1990. En parallèle, il a rédigé de nombreux essais traitant de la réforme de l’Etat, du management public. Son dernier ouvrage traite de « logotique » qui est un concept qui lui est propre et qui concerne la réforme d’écosystèmes professionnels ou économiques par la formation. Il est le cofondateur du Cercle de la réforme de l’état avec Yves Cannac.


Arnaud de Morgny : Pourquoi avez-vous écrit un ouvrage intitulé « la logotique » ?

Francis Massé : La logotique est un concept qui m’est propre et qui est la traduction d’une expérience empirique que j’ai portée dans la création de l’université du transport aérien (UTA) avec l’ENAC.

En un mot le sujet traite des moyens de transformation, d’évolution d’un écosystème, d’un secteur d’activité.

Ce livre est à la fois un livre de réflexion et à la fois un vecteur de communication, un témoignage d’une action particulière que j’ai faite qui pourrait être transposée dans d’autres écosystèmes, en actionnant un nouveau de formation professionnelle privilégiant la filière plutôt que la branche professionnelle. Ceci en coopération entre le public et le privé, pour faire évoluer l’écosystème administratif et en même temps tous les écosystèmes, toutes les filières économiques et professionnelles.

La compétitivité d’un pays c’est à la fois son économie, son industrie et ses services publics. Pour réformer l’Etat, cela passe par une mise en relation de l’Etat, écosystème par écosystème (activité par activité), avec son extérieur.

Donc c’est à la fois un partenariat entre secteur public et secteur privé, en l’occurrence avec UTA entre l’État représenté notamment par la Direction Générale à l’Aviation Civile et tout l’écosystème industriel, financier, économique, du transport aérien et de la construction aéronautique. C’est aussi une manière de faire comprendre à l’Etat qu’il est au service de cet écosystème et de contribuer à rendre plus cohésif et cohérent cet écosystème.

AM : Afin de faciliter la compréhension de votre concept, je vous propose que nous prenions des cas concrets. Ainsi c’est à partir de la mise en place de l’université du transport aérien que vous avez théorisé le concept de la logotique ?

 Pourriez-vous nous préciser le contexte de ce projet ? Pourquoi avoir pris l’initiative de réfléchir et de proposer une structure nouvelle pour faire de la formation professionnelle dans ce secteur ?

 Par ailleurs, quel était le diagnostic que vous avez posé et pourquoi êtes-vous passé par la formation pour changer les logiques d‘écosystème ? Enfin comment s’est déroulée la mise en place de cette université ?

FM : D’abord en effet c’est une initiative à la fois personnelle et professionnelle, je m’intéresse à la réforme de l’Etat de manière générale. En poste à la DGAC, je me suis demandé comment peut-on faire évoluer la DGAC, C’est une administration très technique, très opérationnelle et de ce point de vue, il y a une vraie formation professionnelle de dimension technique.

Mais comment fait-on comprendre aux agents qui sont à la DGAC, et de manière générale aux serviteurs de l’Etat, qu’ils sont au service du public, des entreprises, de la société, du corps social ?.

Le levier que représente la formation professionnelle était un levier possible sachant que je venais de sortir mon dernier livre et la deuxième édition d’«Urgences et lenteur ». Après discussion avec mon autorité et différents acteurs du secteur, nous avons identifié que l’institution qui devait porter ce type de formation novatrice, ne pouvait être que l’ENAC (École Nationale de l’Aviation Civile).

Donc nous avons réalisé un pilote, et l’expérimentation ayant réussie, nous avons poursuivi. Cette année est la septième année de fonctionnement. L’an prochain en 2024 nous ouvrons la formation en anglais dans toute l’Europe du transport aérien et de la constriction aéronautique.

Concrètement, c’est une formation qui est ouverte à tous les hauts potentiels, le top du middle management. Ceux qui vont accéder à terme dans des postes décisionnels importants, stratégiques ou techniques, non seulement à la DGAC ou dans les administrations publiques qui s’occupent du transport aérien et naturellement dans les entreprises du secteur, avionneur, motoriste, supply chain, ground handling, aéroport, compagnies aériennes.

On peut très bien imaginer, que la direction générale du trésor, les collectivités territoriales, notamment les régions, dans lesquelles des acteurs clés traitent de sujets importants dans les domaines de la construction aéronautique, du développement territorial participent à UTA.

On met ensemble tous ces acteurs représentant les parties prenantes de la filière dans une formation assez exigeante. Le format pédagogique est composé de 6 modules de 4 jours et demi donc en gros, on distrait ces gens-là pendant l’équivalent d’un mois pendant une année civile.

Sur ces 6 modules, j’ai imaginé un modèle séquentiel, c’est à dire des modules avec chacun des thématiques particulières de façon à diffuser une vision à 360° degrés de l’écosystème. Par ailleurs les auditeurs sont mobilisés autour d’un travail collectif » appelé « Executive summary ».

Un travail collectif, c’est-à-dire la production d’un rapport, prospectif, stratégique, avec une dimension de proposition, sur un thème qu’ils entrevoient pour faire évoluer cet écosystème.

Le secteur aérien traverse une crise de multiples dimensions (en 2020 la pandémie, mais déjà l’effet Greta Thunberg, le problème écologique, l’évolution des business models, la décarbonation, les enjeux de pollution). Il s’agit donc d’une crise totale. Dans notre université du transport aérien les professionnels partagent la vision, partagent la connaissance des métiers, celle de DGAC. Ils apprennent les métiers, les missions, les enjeux, les stratégies, les défis des autres.

Donc en terme « RH », les gens arrivent avec leurs expériences professionnelles propres, leurs savoir techniques, leurs savoir-faire (1). Ils apprennent le savoir-faire des autres entités de la filère au niveau stratégique et opérationnel (2), ils comprennent mieux ce qu’est un aéroport, le business model d’une compagnie aérienne, le rôle de l’Etat, le rôle de l’assistance à l’escale, etc.

Et puis la troisième couche (3), c’est une culture générale, « soft skill », c’est-à dire notamment la capacité cognitive, l’aptitude comportementale, comprendre les autres, savoir naviguer dans l‘écosystème, les qualités humaines, la capacité d’analyse, prospective apprendre à penser futur !

En ce qui concerne les intervenants pièce maîtresse de la formation : 80 à 90 % sont des professionnels de la filière c’est à dire des pairs, avec des grands témoins comme les grands patrons d’entreprises, compagnies aériennes, le directeur de la DGAC…

Et puis des stratèges ou des spécialistes de différents domaines, en certification avions par exemple etc.

Et puis par ailleurs 10 à 20 % de speakers gens sont hors de l’écosystème : des professeurs d’université, des chercheurs, des philosophes, des économistes, etc.

En effet, une autre caractéristique c’est l’invitation que nous adressons aux auditeurs et aux auditrices à réfléchir notamment sur la prospective, sur la notion d’écosystème, qu’est-ce qu’un écosystème complexe innovant, qu’est-ce qu’un écosystème complexe transformant ?  L’écosystème complexe innovant c’est en termes simples ue filière capable, pour innover, de s’ouvrir à d’autres écosystèmes.

Qu’est-ce qu’un écosystème complexe transformant ? C’est un écosystème complexe qui est capable d’écouter la société. Ce qu’elle souhaite devenir demain.

Ainsi nous donnons aux auditeurs des outils conceptuels, théoriques, mais en même temps des opportunités de dialogue et de participation : ils échangent entre eux sur les aspects les plus concrets, et dans tous les domaines, financiers, sociaux, techniques, énergétiques. C’est un travail vraiment collectif qui permet des fertilisations croisées et qui s’enrichit au fur et à mesure du parcours dans les différents modules de formation.

Les retours que nous avons par les évaluations professionnelles effectuées après chaque module sont très positifs et encourageants.  Nous avons cette année une promotion de 30 personnes et nous pourrons aller à 35 maximum l’an prochain en 2024 du fait de l’européanisation de la formation.

AM : Quel lien faites-vous entre formation et efficacité d’une filière ?

Vous ne parlez pas à proprement parler dans votre ouvrage de l’entreprise, vous parlez à chaque fois de filière, est-ce que la dimension pertinente est obligatoirement celle de la filière ?

FM : Oui c’est au niveau de la filière plutôt que de la branche professionnelle que cette formation est la plus pertinente : les échanges professionnels, l’innovation, reposant sur des connaissances qui se propagent plutôt à l’intérieur de la filière. Car la branche c’est la spécialisation, la filière c’est la pluridisciplinarité, ce sont  les échanges d’informations qui sont enrichissants pour l’innovation et adapter pour demain l’écosystème du transport aérien avec la contribution de toutes ses parties prenantes y compris dès à présent la filière énergétique pour réussir la décarbonation, action vitale pour l’aérien.

Donc c’est pour cette raison que la logotique s’entend au niveau de la filière – ce que j’appelle écosystème-, et que cette méthode de formation professionnelle est un élément décisif qui va la fertiliser et la mettre en expansion en agissant sur la mentalité et l’intelligence collective des professionnels eux-mêmes et sur leur esprit critique ! Cela va accroître la qualité des échanges d’informations venant de plusieurs disciplines, de différentes expériences professionnelles, de divers types d’entreprises.

Si j’écris ce livre c’est non seulement pour relater une expérience et également avoir une réflexion conceptuelle sur les transformations des écosystèmes ; mais c’est aussi pour dire que si cette expérience a réussi dans le monde du transport aérien, on peut la réussir dans d’autres écosystèmes.

AM : De votre expérience à l’université du transport aérien vous en avez tiré un concept, le concept de logotique est-ce que vous pouvez nous en donner le sens ?

FM : J’ai eu la chance de faire du grec et du latin au lycée ! et j’ai appris l’origine du mot λόγος,  logos. Logos c’est la parole, qui agit, le verbe qui est porteur d’une dimension de compréhension mais aussi d’une dimension de praxis, d’action.

Donc à partir de logos, j’ai forgé logotique en ajoutant le suffixe « tique ». La logotique est la parole qui agit et l’échange de parole. Que Babel ne soit pas le mythe où chacun est isolé dans son jargon, dans son métalangage mais soit le mythe au contraire de la réouverture, du dialogue, de la controverse positive dans ses temps, qui sont de plus en plus incertains et parfois navrants. Voilà, le dialogue aujourd’hui il faut presque le réactiver ! La logotique c’est simple mais pas facile : c’est une œuvre collective de personnes engagées.

AM : Vous faites une différence entre management et idéologie managériale, pouvez-vous préciser cette différence ?

FM: Il y a une idéologie de management : on croit que le management est une technique. Il y a un bluff managérial comme il y a un bluff technique ; on croit que la technique va être la solution à tout, que le management c’est gérer, que c’est la technocratie.

Non ! le management ne peut être qu’un management stratégique et donc le management ne peut être qu’humain. Le management est stratégique au sens où l’on a affaire à des hommes, à des femmes qui sont chacun différents, qui ont des stratégies, des intentions, qui ont des valeurs, différentes, etc. Le management stratégique consiste à mettre toutes ces énergies en mobilisation et de les fédérer vers un même objectif. Manager c’est construire, c’est négocier du sens, ce qui est le contraire d’une approche technocratique qui le contraire de l’efficience.

AM : Donc selon vous nous vivons la prédominance du court terme et la domination par les rythmes des mécanismes, quels sont les causes de ces deux dominations ?

FM : Oui c’est une question très importante et la réponse est complexe.

D’une part, ce qui est important de comprendre c’est que, c’est à peu près admis, nous sommes sous le joug de l’urgence, que ce soit d’ailleurs dans secteur privé ou dans le secteur public.

Or la recherche permanente d’une pensée à long terme s’impose certes avec avec des ajustements qui doivent se faire en bonne intelligence, en permanence entre court, moyen, long terme. Il est vrai cependant – et je reviens à la deuxième partie de votre question – que nous sommes immergés dans ce court-termisme ambiant, où les émotions prennent le pas sur la raison. Nous avons du mal à accepter la complexité des situations et notre approche linéaire et non systémique des problèmes auxquels nous sommes confrontés est largement inefficace. Cette approche parcellaire produit des mécanismes inadaptés parce que partiels qui nous entraînent dans des engrenages parfois dangereux. Ils génèrent un aveuglement total et nous empêchent de voir les éléments de la réalité qui vont forger le moyen long terme.

C’est quoi ces mécanismes ? On peut les nommer, ce sont des processus, des procédures, ce sont des dispositifs mis en place qu’ils soient mécanicistes, économiques, administratifs, qu’ils soient juridiques, qui deviennent des fins en soi et dans lesquels s’enferme ? J’explique cela dans mon livre.  Par exemple il y a des reformes qu’on a pensé il y a 30 ans, qu’on n’a pas osé faire à l’époque, qu’on finit parfois par faire 30 ans après et qui deviennent des reformes insensées, c’est-à-dire qui ne font plus sens au moment où on les fait.

Je pense à certaines structures d’organisation départementales dans certains domaines qui faisait sens à une époque et qui ne l’ont plus fait quand on les a mises à exécution.

Et au niveau du fonctionnaire lambda vous avez toute une culture administrative qui fait que la procédure devient la finalité.

AM : Vous défendez le retour du stratégique sur la tactique que vous appelez en fait, le technocratique, comment faire ?

FM : L’intelligence collective dans le temps moyen, long est la seule solution et la controverse, c’est-à-dire cette capacité de transdisciplinarité, de rouvrir le dialogue, de dissoudre les limites disciplinaires de façon qu’il y ait du dialogue.

Il y a des penseurs anciens ou contemporains, Bernard Charbonneau, Jacques-Ellul, Dominique Christian, François Dupuy, Bruno Latour, Jim Collins, Henry Mintzberg et bien d’autres, qui ont réfléchi à tout ça et qui sont allés évidemment beaucoup plus loin que ce que je n’ai pu le faire mais qui mettent en évidence qu’il faut arrêter l’hyper spécialisation, la technocratie, au sens de prendre des hommes pour des choses comme le dit très bien Dominique Christian.

AM : Au début du livre vous évoquez le rapport ambigu entre le secteur privé et le secteur publique, est-ce que vous pouvez préciser ?

FM : C’est à dire qu’il y a une forme d’ambivalence, parce que d’un côté vous avez un secteur privé qui tient un discours antiétatique. Il y a une part de vérité dans la critique d’une sur-administration, mais en même temps dès qu’il y a un problème, on appelle l’État au secours… Il faut rétablir un véritable partenariat a entre le secteur public et le secteur privé. Les entreprises créent des richesses, l’industrie en particulier ; mais le public crée de la valeur si la qualité de la dépense publique est au rendez-vous… L’État doit rester garant de l’ordre public, de l’ordre public social, économique et écologique ! Mais il est au service de la société.

AM : Nous voyons cela beaucoup dans le secteur de la guerre économique et de l’intelligence économique, c’est à dire que beaucoup d’entreprises sont très réticentes à ce que l’Etat mette en place des structures de défense collectives, par peur idéologique, que ce soit un moyen détourné pour l’Etat   de contrôler d’avantages les entreprises, et en même temps quand elles se rendent compte qu’elles sont victimes de Cyber attaques, ou d’attaques réputationnelle à but de détruire leurs marchés, comme vous dites « allô papa !».

FM : Il ne faut peut-être pas le traduire comme ça mais la relation est ambiguë parce que, par construction, les entreprises ne souhaitent pas trop d’Etat au sens d’administration, et de l’autre côté, ils en veulent pour les protéger de leurs concurrents. C’est pour cela qu’à travers la logotique, je pense qu’il faut faire évoluer ce partenariat et s’appuyer naturellement sur l’intelligence économique.

Si vous ne vous attaquez qu’aux structures ça ne suffira pas même si vous ajoutez les processus, si vous ne changez pas aussi le mental collectif, l’intelligence collective et l’état d’esprit. Toute transformation d’une organisation complexe, et l’État comme les entreprises en sont, pour l’adapter aux transitions indispensables doit être réajustée concomitamment au niveau de ces trois dimensions : la structure, les processus et le management.

AM : Vous parlez de surabondance des concepts ineptes qui nuisent à l’efficacité, pouvez-vous en citer ?

Et à votre avis pourquoi cette surabondance, cette multiplication de concepts ineptes ?

FM : Si vous voulez les concepts, je le dis avec humour, je fais de l’autodérision, puisque je viens de créer moi-même un concept, celui de logotique ! Le problème que je veux décrire est que l’on croit que parce que on a nommé un concept que ça y est, on l’applique.

L’agilité je crois que c’est un terme qui nous vient de la NASA dans les années 90, et il y a la méthode agile, donc qui peut être contre l’agilité, la souplesse, la malléabilité, en gros c’est l’Odyssée c’est la Métis, c’est l’intelligence rusée d’Ulysse.

Ce que je veux dire par là c’est une suggestion : ne nous enfermons pas dans une pensée magique, le concept, il suffirait de le nommer, de l’agiter et ça y est la chose se ferai d’elle-même ?

Non, il faut aller plus loin que les concepts, il nous faut des concepts opérationnels, il faut les faire vivre les concepts, les rendre opérants, les mettre en application ; là encore au niveaux d’une stratégie pensée et organisée, dans le cadre d’un travail d’équipe, un travail collectif, qui les mette en œuvre.

AM : En fait le concept inepte c’est l’abracadabra de l’idéologue managérial.

FM : C’est François Dupuis que j’ai déjà cité qui a écrit notamment « Lost in management », des livres importants sur la sociologie des organisations, et avec lequel je suis totalement en phase qui souligne les méfaits de la bureaucratie qui n’est autre que la perte des réalités. Là encore, rentrons dans la réalité managériale, soyons ancrés dans la réalité des problèmes et n’appliquons pas un concept qui apparaît comme la solution miracle.

AM : Notre pays connaît une période d’hyper désindustrialisation, les services publics qui étaient un étendard français sont en sous effectifs, en pénurie de moyens et ne répondent plus ou mal aux besoins des usagers. Il a même été question d’une pénurie énergétique, voire d’une pénurie alimentaire.

A votre avis, comment peut-on réformer l’Etat pour les besoins élémentaires soient assurés ?

FM : Premier temps, c’est parce qu’il y a ce genre de sujet que l’un des vecteurs possible que je pense efficace, c’est la logotique, c’est à dire le temps moyen long pour faire évoluer les esprits, permettre aux gens de la fonction publique de se connecter avec l’extérieur, avec des entreprises pour prendre conscience de la réalité concrète des problèmes, et se mettre en situation de travailler en collectif pour trouver des solutions communes, partagées, donc en gros lucidité, vrai discernement et être ancrée dans la réalité. Je le répète, simple mais pas facile à mettre en œuvre, cet outil me paraît indispensable aujourd’hui tant la crise des services publics est profonde !

La compétitivité d’un pays, d’une nation, d’un ensemble européen c’est l’efficacité d’une administration, des services publics et des entreprises. Vous parliez d’industrialisation, d’une industrie qui créée des richesses, ce n’est pas l’administration en effet qui crée les richesses, mais en revanche elle peut les gaspiller ou au contraire elle peut créer un environnement très favorable à l’industrie, à l’agriculture et au commerce c’est selon ; donc il y a tout cet ensemble-là à faire mieux fonctionner ensemble.

En fait, je suis quelque part un vrai colbertiste mais là aussi, le terme « colbertiste » a été transformé en synonyme d’État dirigiste, mais ce n’est pas ça, c’est l’alliance du privé et du public en bonne intelligence qu’avait ambitionné le grand Colbert !

Il faut beaucoup d’abnégation, d’humilité, de courage, de patience, et surtout la passion.

L’intelligence économique pose comme moyens, la transversalité des informations, la compréhension des enjeux des acteurs, la prise en compte de leurs différentes cultures, de leurs contraintes. Francis Massé a réussi avec l’université du transport aérien de l’ENAC à mettre en place une formation réunissant à la fois comme apprenants et comme intervenants tous les acteurs d’un écosystème-ici celui du transport aérien- afin de favoriser l’innovation et la transformation de ce secteur. A y regarder de près, les moyens utilisés s’ils ne sont pas exactement les mêmes, sont très semblables. Ainsi la logotique pourrait devenir un facteur d’acculturation des différents acteurs à la culture de l’intelligence économique mais surtout à la culture du combat économique.

[1] https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/information-strategique-sisse/rapport-martre.pdf

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