La provocation, une approche décalée de la guerre de l’information

Août 17, 2023
Image tirée de la video d'attaque informationnelle contre l'organisation des JO à Paris en 2024

Pendant que les Français bronzent, la Guerre de l’Information continue

Postée le 27 juillet par un faux média américain (New York Insider), une vidéo mettant en parallèle les violences qui ont émaillé les récents mouvements sociaux avec les épreuves olympiques et appelant au Boycott des futurs jeux de 2024 a provoqué le buzz sur le réseau social X, anciennement appelé Twitter.

Elle a été relayée le 2 août par des comptes d’actualités ainsi que plusieurs personnalités politiques françaises ; ces dernières ont pour la plupart supprimé leur tweet après révélation de la supercherie.1

Dans le contexte de polarisation des relations internationales (Guerre en Ukraine, crises des Etats Africains), ce métrage nous donne un cas concret d’opération sous faux drapeau dans une optique de Guerre de l’Information par le contenu.

Bien qu’il semble de prime à bord que la vidéo s’attaque en priorité à la légitimité de l’Etat Français à recevoir les JO 2024, utilisant pour fer de lance argumentaire la contradiction entre un système démocratique et ses dérives autoritaires (gilets jaunes, émeutes de juillet 2023), elle a également pour but de troubler les relations au sein du bloc occidental.

Le compte New York Insider a pu facilement faire croire à son authenticité en exploitant l’ambiguïté de la fonctionnalité Twitter Blue (la coche bleue apparaissant à la suite du nom de l’utilisateur) ; celle-ci désigne des profils comme certifiés ou bien ayant souscrit à un abonnement de 8 $ par mois en échange de multiples fonctionnalités supplémentaires.

X nous précise : “ Les comptes qui obtiennent la coche bleue dans le cadre d’un abonnement à Twitter Blue ne sont pas passés en revue pour confirmer qu’ils respectent les critères d’activité, de notoriété et d’authenticité qui étaient utilisés dans la procédure précédente ”.2

Cette attaque informationnelle a su tirer profit du changement des conditions d’utilisations sur ce réseau social afin de maximiser son impact.

Le soin pris par l’assaillant de se faire passer pour un media New-Yorkais (son nom étant une contraction évoquant deux journaux locaux : The New Yorker et The Business Insider) dénote d’une attaque traditionnelle sous faux drapeau qui charge le modèle démocratique occidental en dénonçant les failles de sa police.

En effet, le sujet des violences policières est une contradiction dans le modèle occidental qui ne cesse d’être exploitée par des sphères d’influence étrangères (le financement par Evgueni Prigojine des associations comme « désarmons-les » et « témoins caisse de solidarité », pour ne citer qu’elles, en est la preuve).3

C’est également un point de tension dans les sociétés civiles françaises et américaines, toutes deux pouvant s’incriminer mutuellement autour de ce sujet de discorde (de George Floyd à Nahel).

twett de Top des Hagras :

En l’absence de commanditaires clairement identifiables, nous pouvons supposer que cette attaque est orchestrée par des adversaires du bloc occidental qui, en plus d’une volonté affichée de vouloir affaiblir le soft power français et accentuer ses tensions sociales, ont également pour objectif d’envenimer les relations entre Washington et Paris en exploitant un vivier de tensions préexistant (french bashing, anti-américanisme).

Bien qu’adversaires économiques de la France, les Etats-Unis restent un allié diplomatique et militaire de poids. En ce sens, les divergences d’intérêts entre ces deux pays sont une potentielle faille à exploiter pour leurs ennemis.

En Guerre de l’Information, l’avantage est à l’attaquant

L’information circule, elle est relayée par de multiples utilisateurs, parfois des profils à plusieurs milliers d’abonnés, politisés ou non. Le Buzz est atteint, se comptant en millions de vues et, bien que la provenance de l’attaque soit rapidement debunkée (fact-checking de BFM et Arrêt sur Image), le mal est fait : cette vidéo a déjà nourri les biais de confirmation d’une population hostile envers son gouvernement qui ignorera la contre-argumentation, d’une part, et ravivera l’antagonisme USA-FRANCE, d’autre part.

tweet de Raphael Grably:

 

Tweet de MEZONE:

Les efforts déployés pour contredire une attaque informationnelle seront toujours plus conséquents que les moyens mobilisés par l’assaillant pour frapper (cf. loi de Brandolini).

Lesdits moyens sont de plus en plus facilités par le progrès technique, de l’accessibilité de certains logiciels ou plateformes à des outils autonomes comme l’IA.

Création et diffusion du contenu

Les procédés employés, humains comme techniques, sont minimes. Le but n’est pas de retranscrire une chronologie des évènements mais de créer un impact émotionnel qui influencera l’audience.

Une recherche en source ouverte de media (OSINT) permet une compilation de métrages montés de sorte à servir le propos de l’attaquant. Enfin le contenu est relayé via une plateforme payante de press release permettant à l’information de circuler.

Dans le cas de cette vidéo, celle-ci est passée par l’intermédiaire du service « PR to Sky » (entreprise basée en Azerbaïdjan) qui propose une formule à 199,00 $ pour diffuser le contenu sur de faux sites journalistiques (articles copiés/collés provenant d’autres médias, ou productions non signées) notamment le New York Insider.

publicité du site PR to SKY

Face à ce genre d’offensives, la sensibilisation de la population à la problématique des fakes news et la mission de debunkage confiée aux médias privés comme publics sont loin d’être suffisantes ; une part marginale mais grandissante de l’audience sera toujours non-convaincue par le contre-discours à moins que celui-ci ne l’ait tout simplement pas atteinte.

D’autant plus que le progrès techniques, l’accessibilité croissante à ces outils et la diminution du coût de ce type d’opérations vont entraîner irrémédiablement une augmentation du nombre d’attaques, rendant de facto la position défensive de moins en moins tenable.

Même si la plupart de ces offensives se révèlent être des gouttes d’arsenic dans l’océan, l’exemple du New York Insider nous prouve les limites de la réaction en Guerre de l’Information.

La meilleure défense c’est l’attaque

Une alternative viable au traditionnel contre-discours serait une dynamique pro-active comme l’armée française a su le démontrer lors de l’affaire de Gossi4. Elle nous donne un exemple concret de ce qu’est l’anticipation d’une probable attaque informationnelle. Et si la publication des images des opérateurs du groupe Wagner enterrant les corps a conduit à l’échec de l’initiative adverse et à la décrédibilisation de ses cellules actives, il s’agissait là d’un simple débunkage et d’une mise en avant du réel, pas d’une véritable guerre de l’information. Un saut qualitatif en la matière reste encore à franchir en France.

Cependant, que ce soit un coup de chance ou une bonne anticipation de la part des services, il s’agit là du seul coup d’éclat de l’armée française en Guerre de l’Information, dans son histoire récente.

Et comme dirait un célèbre rappeur Marseillais et stratège à ses heures perdues, sur l’autoroute sans limitation de l’Information :

« La meilleure défense, c’est l’attaque… ou la contre-attaque… claque, claque, claque »

 

  1. Paris 2024 : ce que l’on sait de ce faux média américain qui a diffusé une vidéo appelant au boycott des JO
  2. CGU X
  3. Une officine d’influence russe s’intéresse aux violences policières en France
  4. Désengagement français au Mali : la guerre de l’information en action au sein des Armées

Ressources & Travaux de l’EGE sur des sujets connexes

Loading...