#9 Naïveté coupable ou compromission ?

Quand une partie de l’élite fait sécession

Par Clément Fayol

L’absence de conscience stratégique de nombre de personnalités politiques, hauts fonctionnaires ou anciens militaires reconvertis dans le privé, est le talon d’Achille de la France. Une vulnérabilité qui saute aux yeux à la faveur du conflit ouvert entre l’Union européenne et la France avec la Russie, la confrontation indirecte de nos intérêts en Afrique avec plusieurs puissances émergentes ou l’hégémonie des normes états-uniennes.

« Pour répondre à vos autres questions, je citerai le dossier de la vente de douze sous-marins français à l’Australie. » Été 2020, par mail, Jean-David Levitte, diplomate de carrière et ancien sherpa de Jacques Chirac puis de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, se démène pour me convaincre qu’il ne fait pas partie de « ces Français au service de l’étranger » qui m’intéressent. Avec sa participation dans les négociations pour le contrat de l’entreprise française Naval Group en Australie, il voit la preuve irréfutable qu’il sert aussi la France dans le privé. Depuis, le « contrat du siècle » s’est transformé en fiasco et avec lui saute l’argument de Jean-David Levitte qui y voyait la preuve qu’il était resté un grand serviteur de l’État tout en monnayant son carnet d’adresses au plus offrant. C’était quelques mois avant la publication de mon enquête, alors que je l’interrogeais par écrit. Les documents en ma possession et échanges collectés et recoupés sont implacables. L’ancien ambassadeur en retraite depuis 2011 a bien fait, en 2017, un rapport destiné au candidat du Qatar pour favoriser son accession à la tête de l’Unesco. Un rapport constitué d’éléments récupérés auprès de l’ambassadeur français de l’époque à l’Unesco, un ancien subordonné de Jean-David Levitte. Et ce alors que la France avait un candidat en la personne d’Audrey Azoulay. Pour notre pays, cette déloyauté d’un de ses grands diplomates a finalement eu peu d’impact. Audrey Azoulay a été élue en 2017 et même réélue en 2021 à la tête de cette organisation internationale sise à Paris.

Russie et Ukraine, le réveil brutal

L’épisode est marquant parce que, en se mettant au service d’intérêts étrangers, l’ancien haut fonctionnaire a favorisé un concurrent direct de la France. Il est surtout révélateur de l’absence de repères stratégiques d’une part de notre élite lorsqu’il s’agit des guerres d’influence et ingérences étrangères. Le réveil que constitue l’invasion russe en Ukraine pour une partie de l’opinion publique, y compris dans les sphères dirigeantes, est révélateur. Ce choc de réalisme souligne la naïveté coupable qui régnait depuis des années dans l’establishment et empêchait de voir la réalité de choix professionnels allant de l’appât du gain jusqu’à la compromission avec une puissance étrangère.

Durant des années, des réseaux d’influence russe se sont développés à Paris et en Afrique avec la complicité de personnalités politiques ou lobbyistes français. Prenons l’exemple de Vladimir Iakounine. Cet homme était la tête de pont des intérêts du Kremlin en France. Ancien patron des chemins de fer russes, il organisait avec Dialogue des civilisations en France – mais aussi au Maghreb et en Afrique – des colloques et conférences qui avaient pour objectif de sensibiliser les élites à un discours critique de l’OTAN et de l’impérialisme américain. Et pour que cet outil d’influence ne soit pas identifié comme tel, le lobbyiste français Jean-Christophe Bas était chargé de l’incarner et d’inviter des personnalités publiques à participer aux événements. Parmi les représentants français on trouve aussi Jean-Yves Ollivier, ancien intermédiaire de la Chiraquie en Afrique passé à son compte. Le labour russe est tranquille, patient, et les discussions officielles se cantonnent à des débats géopolitiques. Ce qui sort du sillon est en revanche beaucoup plus problématique.

Comme une pente descendante, la proximité que permettent ces colloques en eux-mêmes innocents rend possibles des approches plus directes. (…)

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