D’après les propos recueillis auprès de Romain Bonnet, avec la collaboration de Lucie Laurent.
Comment parler de la Russie quand ce pays a fait l’objet de toutes les unes depuis le début de la guerre en Ukraine ? Si l’attention des experts s’est logiquement focalisée sur ce conflit, nous souhaitons ici revenir sur la présence russe en Afrique. Car depuis le retrait des troupes françaises au Mali et la réorganisation de l’opération Barkhane au Sahel, une partie du continent est devenue un véritable théâtre d’affrontement entre la Russie et les puissances occidentales, en particulier la France. Pour comprendre les enjeux de ce nouveau conflit, nous avons sollicité un élément privé de notre réseau. Directeur Sûreté d’une filiale du groupe Vinci implantée dans plus d’une vingtaine de pays africains, voici quinze ans qu’il sillonne le continent. Il en suit l’évolution dans le cadre de l’exercice de ses fonctions en échangeant directement avec les collaborateurs de son entreprise et les populations sur place.
La Russie en Afrique, une présence qui n’est pas nouvelle
Les Occidentaux et parmi eux les Français semblent avoir été surpris en 2018 de voir la Russie se déployer en Afrique subsaharienne francophone, plus précisément en République centrafricaine. La présence russe en Afrique est pourtant bien ancrée depuis la seconde moitié du XXe siècle.
Dès les années 1960, durant la période de décolonisation, l’Union soviétique a développé une politique de formation des combattants puis des cadres de mouvements de libération nationale. En 1966, son influence à la Conférence tricontinentale impulsée par Mehdi Ben Barka n’est pas clairement établie et il est alors difficile de déterminer qui pilote réellement le mouvement tiers-mondiste. Une chose cependant est manifeste : le concours soviétique à la Tricontinentale comprend un appui aux mouvements africains de libération, y compris dans les luttes armées. On retrouve ainsi les Russes en Angola et au Mozambique et dans de nombreux autres conflits liés à la décolonisation. Accompagnés de forces militaires cubaines, des conseillers militaires soviétiques sont déployés, opérationnels, sur le terrain aux côtés des forces africaines.
Au début des années 1990, après la chute de l’ex-URSS, la présence russe diminue au point de quasiment disparaître en Afrique car elle n’a plus les moyens de soutenir les pays tiers-mondistes.
Un retour politique progressif
Il faut attendre la fin des années 2000 pour voir la Russie réapparaître en Afrique avec des accords de coopération dans les domaines économique, militaire et technique. Mais c’est surtout lors du deuxième mandat de Vladimir Poutine à partir de 2012 que les relations russo-africaines prennent un nouveau tournant. En 2011, alors chef du gouvernement du président Dimitri Medvedev, Vladimir Poutine n’a pas supporté que la Russie s’abstienne d’utiliser son veto à la résolution des Nations unies sur l’intervention militaire occidentale en Libye. Il reprochera à Medvedev d’avoir permis la création d’un déséquilibre politique majeur dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui.
En 2014, l’intervention de la Russie en Crimée lui vaut une vague de sanctions de la part des pays occidentaux et un isolement dont elle tente de sortir en réinvestissant ses relations internationales sur le continent africain pour y accroître son influence politique, commerciale et militaire. C’est l’époque où on voit émerger la figure de Mikhaïl Bogdanov. Ce diplomate du MID (le ministère des Affaires étrangères russe), ancien ambassadeur en Israël et en Égypte, est extrêmement versé dans les problématiques proche-orientales et africaines. Par son entremise, il fait revenir les réseaux russes en Afrique et participe au réinvestissement de la zone.
En octobre 2019, date symbolique, le premier sommet Russie-Afrique se tient à Sotchi. Il s’agit de promouvoir les intérêts économiques russes mais surtout de marquer le retour officiel de la Russie dans les relations avec l’Afrique en suivant le chemin emprunté par la Chine vingt ans auparavant avec la création du Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA).
Une augmentation du nombre de coopérations militaro-techniques est notoire : de moins d’une dizaine on est passé à plus d’une vingtaine depuis 2017-2019. En 2019, les parts de marché russes représentent environ 3 % dans la balance commerciale africaine. C’est encore très loin derrière la Chine (19,6 %) et encore derrière la France (5 %) mais la croissance est régulière.
La Russie, une alternative politique et économique pour les pays africains
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