Par Nicolas Ravailhe
Une Chine longtemps sous-estimée par l’UE
L’Union européenne a longtemps considéré la Chine comme un pays en voie de développement, lui ouvrant accès aux programmes de coopération. À la fin des années 2000, une évolution s’est opérée, tardivement, mais sûrement pas naïvement. De nombreux acteurs économiques européens, par une symbiose d’actions d’influence entre leurs États et leurs filières économiques et/ou entreprises, voire leurs territoires, ont de longue date tiré parti de la politique commerciale de l’Europe avec la Chine.
Dans sa relation avec la Chine, comme avec d’autres pays (par exemple les États-Unis), l’Union européenne est censée agir en stratège. Certes, par Union européenne, on ne doit pas appréhender une entité homogène mais un processus décisionnel qui englobe les intérêts propres des pays membres, des stratégies spécifiques concernant leurs économies et les jeux d’influences que cela implique.
En transférant des compétences de protection économique à l’UE, les dirigeants français ont souhaité un renforcement de l’intérêt général européen afin d’agir face à des rivaux systémiques. Une tout autre vision a été développée dans d’autres États membres.
L’Allemagne, toutes tendances politiques confondues, a exploité cette mise en commun européenne dans la poursuite de ses objectifs de domination du commerce mondial. Les chiffres annuels du commerce extérieur situent bien cette réalité. En 2021, on constatait un écart de 258 milliards entre l’excédent allemand et le déficit français. Cela trahit une incapacité française à s’adapter aux réalités européennes.
Faute d’actions efficaces de la France en matière de lobbying en Europe, de capacités à assumer et porter des rapports de force, les processus décisionnels européens procèdent de majorités stables, souvent constituées autour des intérêts de l’Europe du Nord-Ouest. On voit bien ici comment certains acteurs arrivent à conjuguer la stratégie politique, l’expertise technologique, le droit et les financements européens avec leurs objectifs d’intelligence économique.
Étant donné que l’Union européenne concentre toutes les prérogatives en matière de relations économiques avec des pays tiers, la Chine est un enjeu central. En effet, cette compétence de l’UE est exclusive et se substitue pleinement à celles des États membres. Plus grande puissance commerciale au monde avec un marché intérieur volumineux et riche, l’Europe, ou plutôt certains de ses membres, a su faire de la Chine un de ses principaux partenaires commerciaux. En considérant la Chine comme un pays en voie de développement, ces États ont pu promouvoir leurs intérêts spécifiques dans un pays qui était déjà fort, innovant et très productif.
La Chine, rivale systémique de l’UE ?
Sur le plan géopolitique, la question ne se pose pas. Les tensions géopolitiques dans la zone Indo-Pacifique n’ont aucun intérêt pour l’UE, à l’exception de la France et du Royaume-Uni avant le Brexit, deux pays qui du fait de leur histoire coloniale conservent une présence dans cette zone.
Si l’Europe entretient des discours creux, cela procède d’une forme de détournement d’attention. D’une part, il convient d’être présent sur le sujet tout en prenant soin de ne pas fâcher des États tiers dans le but de préserver des intérêts commerciaux. D’autre part, la géopolitique est un leurre parfait pour alimenter les circonvolutions stériles.
La France est isolée dans sa vision d’une Europe protectrice face à la Chine. Pendant que ses élites suralimentent les discussions géopolitiques, nous sommes absents des enjeux inhérents aux guerres commerciales. Pire, de nombreux États, afin de servir les intérêts de leurs opérateurs économiques, utilisent la France comme un épouvantail. Ils peuvent ainsi se placer en partenaires stratégiques « raisonnables » de la Chine et augmenter leurs leviers de négociation avec elle.
Pour rester crédibles auprès des négociateurs chinois, ces États complices des intérêts de Pékin prennent soin maintenir la vision française en « respiration politique artificielle », car elle leur est utile. On entretient une menace de durcissement des relations commerciales avec la Chine, lequel ne se produit jamais. La vision française existe mais demeure une chimère.
Pour l’Union européenne, tout est exclusivement articulé autour des menaces et des opportunités relatives aux échanges commerciaux et aux investissements directs, entrants comme sortants. Ainsi, l’Accord global sur les investissements entre l’Union européenne et la Chine adopté fin 2020 n’a pas pour mission de protéger l’Europe des importations chinoises mais d’obtenir que la Chine s’ouvre davantage aux produits, aux services et aux capitaux européens. De toute évidence, la Chine n’est pas, pour une majorité d’États européens, une rivale systémique, encore moins une ennemie.
Une Europe stratège et forte pour ceux qui l’utilisent
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